Se sentir étranger à soi-même

Se sentir étranger à soi-même : récit et analyse d’une transition intérieure

Résumé

Il y a des instants où l’on ne se reconnaît plus, où on a le sentiment de se sentir étranger à soi-même. Comme si l’on habitait une vie trop étroite, trop étrangère. Alors surgit l’envie de tout quitter… ou de disparaître. Mais derrière ce vertige, se cache souvent autre chose : un appel discret, une mue intérieure, une renaissance qui cherche sa place.

Dans ce récit, on suit Marlène perdue dans le quotidien, traversée par le trouble et le silence. L’analyse vient ensuite éclairer ce passage : le désir inconscient, les symboles qui l’accompagnent, les rituels invisibles qui jalonnent chaque transformation.

Une histoire à lire comme un miroir, une clé pour interroger vos propres transitions.

Récit "Le murmure sous la peau"

Chaque matin, Marlène se levait à la même heure, sous la lumière blafarde d’un néon qui grésillait doucement au plafond. Son appartement était silencieux, trop propre, presque impersonnel.

Elle prenait un café tiède dans une tasse fêlée qu’elle n’arrivait jamais à jeter, en regardant fixement les immeubles gris d’en face. Elle travaillait dans un cabinet de comptabilité, où les chiffres s’alignaient avec une rigueur presque apaisante.

Tout fonctionnait. Pourtant, elle avait l’étrange impression de traverser ses journées comme on traverserait une pièce vide. Il y avait ce sentiment diffus, comme un bruit de fond, un flottement. Parfois, elle se surprenait à ne plus reconnaître sa propre voix au téléphone. D’autres fois, en croisant son reflet dans une vitrine, elle clignait des yeux comme devant une inconnue.

L’appel du trouble : quand le désir de disparaître surgit

Un soir, en rentrant du travail, elle oublia son sac dans le métro. Quand elle s’en rendit compte, elle sentit une chaleur monter brutalement à sa gorge — mais ce n’était pas de la panique. C’était… un soulagement étrange. Elle marcha au hasard des rues, sans chercher à retrouver ses affaires.

Plus tard, elle rêva d’un jardin immense, au centre duquel un puits sans margelle s’ouvrait comme une bouche. Une voix en sortait, familière, mais impossible à identifier. Elle se réveilla en larmes, avec une douleur sourde dans la poitrine, comme si quelque chose d’ancien remontait lentement, comme l’eau d’un fond oublié.

La traversée : l’entre-deux identitaire

Dans les jours qui suivirent, tout sembla perdre son contour. Marlène se surprenait à fixer le vide en pleine réunion. Elle oubliait les anniversaires, les courses, les mots de passe. Les visages familiers devenaient des masques. Elle sentit le besoin irrépressible de s’éloigner, sans savoir où aller.

Elle passa des heures à marcher dans un parc à l’autre bout de la ville, le même livre jamais ouvert dans sa poche. Une fois, elle se retrouva debout devant une église qu’elle n’avait jamais remarquée auparavant. Elle n’y entra pas. Mais elle revint, encore et encore, comme si quelque chose l’y attendait.

L’instant de bascule : écouter le murmure intérieur

Un dimanche matin, alors que la pluie tombait fine et droite, elle trouva au pied de sa porte un petit coquillage, usé, nacré, presque transparent. Aucun voisin n’avait d’enfant, personne n’avait pu le déposer là. Elle le prit entre ses doigts. À l’intérieur, elle entendit un souffle. Pas un son réel, mais une vibration, intime, comme une mémoire ancienne. Elle vit alors l’image fugace d’elle-même enfant, pieds nus sur une plage bretonne, regardant l’horizon, les bras ouverts. Et dans ce silence, un mot surgit : « revenir ».

Le passage : renaître autrement

Marlène prit quelques jours de congé, sans prévenir. Elle alla au bord de la mer, seule, là où elle avait passé des étés d’enfance. Elle n’avait aucun plan. Elle apporta le coquillage avec elle, le posa chaque soir sur la table de nuit, comme une présence discrète.

Elle écrivit une lettre, qu’elle brûla sans la lire, dans une petite boîte en métal. Ce soir-là, elle sentit quelque chose se dénouer en elle, un fil invisible qui n’avait jamais trouvé sa fin. Elle ne savait pas encore où elle allait, mais elle savait enfin qu’elle marchait dans sa propre direction.

Élise traverse une vie bien rangée, mais sent peu à peu qu’elle n’y habite plus vraiment. Un oubli, un rêve, un coquillage… Ces éléments discrets ouvrent une brèche dans son quotidien. Et si ce sentiment d’étrangeté à soi-même n’était pas un simple mal-être, mais l’écho d’un appel plus profond — celui d’une transformation intérieure, souvent silencieuse, mais insistante ?

1. Lecture psychanalytique : le désir caché derrière le trouble

Dans le récit, Élise ne manifeste pas de révolte extérieure. Ce sont des gestes minuscules, presque involontaires, qui trahissent une faille : l’oubli de son sac, la dérive dans les rues, l’émotion inexpliquée au réveil. Ce sont les signaux faibles de l’inconscient qui se frayent un passage là où le « moi » ne tient plus.

Le rêve du puits sans margelle est très parlant : il figure un lieu sans contour, sans protection, d’où émerge une voix indistincte. Le puits, en psychanalyse, évoque le lieu de l’origine, du féminin, de l’inconnu. Ce rêve pourrait symboliser un retour vers un désir enfoui, quelque chose de profond qui remonte lentement à la surface. La voix familière mais impossible à identifier pourrait être celle du soi non encore né, ou d’un souvenir archaïque, peut-être maternel, qui cherche à se dire autrement.

Ce que vit Élise n’est pas une simple fatigue ou une crise passagère. C’est un glissement de terrain intérieur : un moi social en train de se fissurer pour laisser place à une part oubliée d’elle-même.

2. Lecture symbolique : les objets et images comme archétype

Le coquillage trouvé devant sa porte agit ici comme un objet transitionnel. Il est minuscule, silencieux, mais chargé d’une mémoire — celle de l’eau, de l’écoute, du secret. Dans de nombreuses cultures, le coquillage symbolise l’écoute de l’invisible, la féminité intérieure, le lien à l’inconscient. L’image de la petite fille face à la mer vient réveiller ce souvenir d’être ouverte au monde, connectée au vivant, bien avant les rôles sociaux.

La boîte en métal où elle brûle une lettre agit comme un rituel discret, une forme d’enterrement symbolique. Ce geste simple, mais fort, marque un acte de séparation avec une part de soi devenue trop étroite.

3. Lecture anthropologique : l’entre-deux comme rite de passage

Ce que traverse Élise s’apparente à une phase liminale : elle n’est plus vraiment celle d’avant, et pas encore celle d’après. Dans de nombreuses cultures, ce moment flou est encadré par des rituels : retrait du monde, silence, solitude, puis retour avec un statut transformé. Dans notre société, ces seuils existent toujours, mais sans cadre. Nous traversons seuls nos métamorphoses, souvent sans mot, sans témoin, sans signe.

La marche répétée, la visite à l’église, l’appel de la mer… Ce sont des gestes rituels involontaires, qui miment un rite de passage ancien, où l’individu part, doute, revient autrement. Ce manque de cadre sacré rend le voyage plus incertain, mais aussi plus personnel. Élise recrée, sans le savoir, son propre chemin de passage.

4. Lecture psychogénéalogique : héritages invisibles et fidélités cachées

L’image finale d’Élise enfant, bras ouverts vers la mer, pourrait évoquer une mémoire transgénérationnelle : celle d’une liberté ancienne oubliée, d’un lien aux origines peut-être refoulé dans sa lignée. Le besoin de « revenir », de retrouver un espace intérieur vaste et fluide, pourrait être la réponse à une transmission silencieuse, celle d’une mère ou d’une grand-mère ayant renoncé à sa voix propre. Le coquillage, comme héritage, contient peut-être un écho de cette voix muette.

Et toi ?

As-tu déjà ressenti cette étrangeté de toi-même, ce flottement qui précède un changement ?
Et si derrière le vertige se cachait un simple murmure : l’appel de ta propre transformation ?